Rencontre avec Jean-Pierre MAYOT (2013)

Les architectes des Bâtiments de France (ABF) sont des fonctionnaires de catégorie A appartenant au corps des architectes et urbanistes de l’État (AUE) constitué en 1993. Les ABF ont 3 missions : 1) entretien / conservation des monuments protégés et rôle général de conseil gratuit et indépendant sur les autres édifices du patrimoine ; 2) aide au montage des dossiers financiers et techniques de restauration et contrôle de la bonne réalisation des travaux (notamment lors des avis sur les aides de la Fondation du Patrimoine) ; 3) surveillance des zones protégées aux abords des monuments protégés et des ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) devenues en juillet 2010 AVAP (aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine) pour assurer une bonne insertion des constructions neuves et des transformations. On compte 120 ABF et 110 urbanistes sur un corps des AUE comprenant environ 280 personnes. Il y a un ABF en moyenne dans chaque département où il dirige un Service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAP) placé sous la double autorité du préfet et du directeur de la DRAC (Direction régionale de l’action culturelle).

1 – La formation d’un ABF
Agé de 41 ans, J.P.M. est en poste à Auxerre depuis le 1° septembre 2012. Il vient du département de la Manche où il était ABF adjoint. I l est diplômé de l’école d’architecture de Nantes (1991-97). Après son service militaire à Brest, il est employé dans plusieurs agences d’architecture à Dinard puis exerce comme architecte libéral pendant 5 ans. Sa coopération avec Jean-Michel Germaine, ABF en  lle-et-Vilaine, le décide à suivre une formation d’architecte du patrimoine à l’Ecole de Chaillot pendant
2 ans pour se spécialiser dans les espaces protégés et les édifices anciens. En 2009, avant le diplôme de l’Ecole de Chaillot, il est reçu au concours AUE pour devenir ABF. Titularisé en 2010, il devient ABF adjoint dans la Manche sous l’autorité de Jean-Michel Germaine.

2 – Quelles actions mener sur le bâti ancien pour l’adapter au monde moderne tout en le respectant ?
En tant qu’architecte libéral, J.P.M. a beaucoup travaillé sur ce bâti pour des propriétaires privés. Les projets qu’il pouvait faire alors devaient répondre à des intérêts particuliers face à l’intérêt général tel que le défendait l’ABF. Cela lui a permis de définir des clés pour mieux articuler intérêts particuliers et intérêt général. Depuis qu’il est ABF, l’intérêt général est sa priorité. Pour répondre à cette mission, il s’efforce de transmettre ce qu’il a appris aux particuliers, aux collectivités, aux administrations. Dans ce contexte, il ne se considère pas comme celui qui sait face aux autres mais comme un intermédiaire, un passeur entre les appreneurs et les apprenants.

Ainsi pour les normes sur l’amélioration thermique des bâtiments anciens : basées sur des cas généraux, elles doivent être adaptées au cas par cas à chaque bâtiment, selon la date de sa construction, ses procédés constructifs, ses matériaux. Quel que soit le bâtiment, la plus grande attention doit être accordée au problème de la nocivité des matériaux mais aussi et surtout à la mise en oeuvre qui peut changer du tout au tout l’impact des matériaux utilisés. Sur le mot d’ordre de rendre les bâtiments de plus en plus étanches, J.P.M. est prudent. Il faut prendre garde à ne pas fabriquer des cocottes minutes ou des étuves qui favorisent toutes sortes de désordres dont certaines moisissures néfastes pour le bâtiment comme pour ses utilisateurs. Il ne faut pas oublier la nécessité de ventiler, même si le coût des ventilations double-flux est onéreux. Certes les DTU exigent la présence d’une ventilation basse et haute mais cette norme doit être adaptée selon les menuiseries car les fenêtres anciennes assurent une ventilation des locaux dont il faut tenir compte.

En règle générale, le bâtiment tend aujourd’hui à être considéré comme un bien de consommation courante. Les particuliers peu informés ne savent pas qu’il faut l’entretenir mais aussi s’adapter à lui. Il y a un siècle, les anciens vivaient durant l’hiver dans une seule pièce que la proximité des animaux de l’étable contribuait à chauffer. Aujourd’hui une adaptation raisonnable est possible. Car le confort moderne se résume-t-il à la possibilité de chauffer une maison sur 3 niveaux pour 2 personnes ?

Un autre aspect lui tient à coeur : la nécessité de concevoir la modernisation d’un bâtiment en lien avec l’urbanisme car l’un ne va pas sans l’autre. On voit trop souvent des bâtiments anciens démolis ou rénovés car ils ne servent plus mais sans projet urbanistique. Avant toute intervention sur un bâtiment, il faut répondre à la question préalable de savoir à quel nouvel usage ce bâtiment va servir.

Le bâti ancien est précieux car il est une trace du passé, une mémoire à laquelle les gens tiennent. Dans la crise actuelle, cette dimension mémorielle tend à devenir « accessoire » car les aspects économiques
priment sur les autres. C’est oublier que l’activité économique est cyclique et que la croissance reviendra un jour. Alors les bâtiments anciens disparus ou dénaturés seront ou regrettés ou coûteux à remettre en état.

3 – L’ABF s’insère dans un double réseau d’autorités : la Préfecture, Etat dans le département, la DRAC, Etat en Région. Comment articule-t-il ces deux réseaux ?
Pour aborder les divers dossiers qui lui sont soumis, J.P.M. se place toujours du point de vue du fond. Dans chaque cas, il cherche à réunir les éléments objectifs qui lui permettent de prendre une décision correcte. Il n’oublie pas qu’au final, c’est l’ABF qui est en première ligne au contentieux car c’est à lui que le juge reprochera ou non « l’erreur manifeste d’appréciation ». Ce principe guide ses relations tant avec la DRAC, dont le STAP est désormais une unité territoriale, qu’avec la préfecture. Si ses arguments sont bons, si ses résultats sont probants, si le bien-fondé de son intervention sur tel ou tel dossier est reconnu, sa légitimité face à ces hiérarchies sera confortée.

Certes les choses ne sont pas toujours faciles. Les pressions sont multiples, les subventions pour les monuments historiques baissent et la part de subjectivité ne peut être ignorée. En outre, la réglementation est complexe et souvent peu connue ou comprise par les autorités locales. Par exemple la loi de 1913 sur le rayon de 500 mètres aux abords des monuments historiques est cohérente car elle est égalitaire. Mais les modalités de son application sont très complexes : cette loi définit un « millefeuille » de zones protégées que peu de gens connaissent ou comprennent. Une réforme est en préparation qui devrait se faire (par ordonnances ?) pour simplifier les réglementations actuelles et les rendre plus effectives.

Il ne faut pas oublier enfin que les ABF sont peu nombreux et disposent de services de taille restreinte. Dans l’Yonne, le STAP compte 6 personnes. Le service tient des permanences à Joigny, Avallon, Vézelay, Tonnerre, Saint-Florentin, Auxerre et Sens. Ces permanences ont lieu une fois par mois avec ou sans régularité (si besoin, une présence du STAP peut avoir lieu plus d’une fois par mois). Le délai d’instruction des dossiers, d’un mois, est tendu et implique un effort soutenu pour éviter la réponse tacite.
En Bourgogne, le STAP 89 est bien placé quand aux délais de réponse du fait de sa bonne réactivité. Cette rapidité de réaction est rendue possible par une bonne organisation du service. Chaque agent est spécialisé sur un secteur géographique et traite les demandes d’autorisation pour les travaux particuliers, les plans et problèmes d’urbanisme. Pour les Monuments Historiques, les dossiers sont systématiquement traités en liaison avec la DRAC. Les limites géographiques des secteurs ont été revues pour s’adapter à la future intercommunalité en cours de mise en place. Lui-même s’occupera du Vézelien, d’Auxerre et de Sens (l’ABF étant conservateur de l’ensemble cathédrale).

4 – Les partenaires du STAP : CAUE et associations
Le STAP a besoin de ces partenaires dans le contexte réglementaire d’aujourd’hui. Dans l’Yonne, les relations entre ces trois piliers de la défense du patrimoine en lien avec l’urbanisme sont bonnes et fructueuses. L’apport d’un CAUE consiste principalement en une vision de l’architecture contemporaine originale et complémentaire de l’approche plus patrimoniale du STAP. Dans le département, la complémentarité fonctionne bien.

Les associations sont tout aussi utiles car elles assurent une veille sur le terrain. Leurs préoccupations, notamment pour les MPF, sont complémentaires de celles du STAP. Toutefois, un cadrage est nécessaire pour éviter qu’une association ne se substitue aux services de l’Etat ou à ceux d’une collectivité. Par exemple, l’intervention d’une association dans une opération de restauration n’est possible que sous certaines formes telles le mécénat. Elle ne peut se faire de manière directe (conduite et réalisation d’un chantier par exemple) car cela engage la responsabilité de l’ABF, notamment pour les monuments historiques.