Rencontre avec Jacques MEISSONNIER (2011)

 

Maîtres dans l’utilisation de la chaux, les Romains ont fortement marqué de leur présence la Bourgogne. Hélène Delorme et Jean-Marie Vernhes ont interrogé sur ce sujet Jacques MEISSONNIER, ancien Conservateur du Patrimoine au Service Régional de l’Archéologie (Ministère de la Culture et de la Communication) à Nantes puis Dijon, actuellement Président du Groupe de Recherche archéologique d’Entrain-sur-Nohain (GRADE) qui a la charge de la Maison des Fouilles d’Entrains-sur-Nohain en bordure de la Puisaye. L’entretien a eu lieu le 22 août 2011.

 

Entrains-sur-Nohain est une commune située à l’extrême nord du département de la Nièvre, entre Auxerre au nord, Nevers au sud, Clamecy à l’est et Cosne-sur-Loire à l’ouest. Elle compte aujourd’hui 920 hab. Du 1er au 4° siècle avant JC, Intaranum fut une importante cité gallo-romaine et un centre religieux qui s’étendait sur plusieurs dizaines d’hectares et comptait plusieurs milliers d’habitants. Classée aujourd’hui en « zonage archéologique », on y a retrouvé de nombreux vestiges de l’occupation gallo-romaine : Apollon citharéde, visible au Musée d’Archéologie Nationale à Saint-Germain-en-Laye, Mercure assis, conservé au Musée du Louvre, plusieurs voies romaines dont celle qui reliait Autun à Orléans en passant par Ouanne et Auxerre, des traces d’îlots d’habitations, d’un quartier artisanal, d’un important théâtre à l’est de la Ville, d’aqueduc et de plusieurs temples ainsi que d’abondants objets (céramique, monnaies, outils, statuettes, épitaphes). Une grande partie de ces vestiges est conservée à la Maison des Fouilles d’Entrains.

 

1 – Mortiers de chaux et tuiles

La présence de mortier de chaux et de tuiles constitue un signe assuré de la romanisation d’une contrée. Les Gaulois n’utilisaient pas ces matériaux mais le bois, la terre, le chaume et la pierre sèche. Après une période de transition qui se situe entre la guerre des Gaules (de 58 à 52 avant JC) et le début du règne d’Auguste (de 27 avant JC à 14 après), pratiquement tous les bâtiments gallo-romains se font en chaux et sont couverts de tuiles. Un bon exemple est celui des remparts d’Autun qui, bâtis sous Auguste, ont un parement en petits moellons de granit de 10 cm de côté maçonnés à la chaux. Au Beuvray, dont les bâtiments sont plus précoces, on observe aussi des constructions à la chaux avec des couvertures en tuiles.

Les tuiles romaines sont de deux sortes. La « tégula » est plate avec des rebords. «L’imbrex», qui est demie ronde comme la tuile canal ou tige de botte, se pose sur les rebords des tegulae pour assurer l’étanchéité de la toiture. Au moins en bas du toit, les imbrices sont fixées aux tegulae avec du mortier de chaux pour solidifier l’ensemble.

Lorsque les Romains souhaitent rendre un sol ou des murs étanches, comme dans un établissement

thermal, ils utilisent un mortier de couleur rose (ciment romain) car constitué avec un ajout de tuile

concassée dans le mortier de chaux. Ce matériau est très dur, aussi dur que le ciment de Vassy inventé dans les années 1830.

 

2 – Les décorations (enduits peints et mosaïques)

Les fouilles ont permis de trouver de multiples enduits peints. Une étude très complète a été faite par Mme Dominique PLATEAU-COMTE, étudiante de Mme Alice BARBET, spécialiste des peintures murales romaines, à partir des vestiges découverts à Entrains en 1982-83 mais elle n’a pas fait l’objet d’une publication détaillée.

A Entrains, on a trouvé des peintures constituées de grands aplats rouge ou rouge brun avec des bandes bleue ou verte qui figurent de fausses architectures ainsi que quelques restes de mosaïques. Dans les villes plus importantes comme Auxerre ou Autun, où abondent bâtiments publics et princiers, on trouve des peintures murales plus luxueuses représentant des personnages, des animaux et des végétaux ainsi que des restes de belles mosaïques. Ces dernières sont fixées dans un mortier de chaux étendu sur un lit de pierres posées de chant.

 

3 – Les fours à chaux

Pour des questions de facilité et de coût, l’essentiel des matériaux utilisés pour les bâtiments anciens

étaient extraits ou fabriqués localement. Pourtant à Entrains, contrairement à d’autres sites où ont été

repérés des fours à chaux installés à la fin de l’époque romaine ou au Moyen-Age, les fouilles n’ont pas  encore découvert de four à chaux. Toutefois, à Ménestreau, commune limitrophe d’Entrains, une cuve à chaux a été fouillée, près d’un sanctuaire bâti à l’extérieur de la bourgade.

Autour d’Entrains, il y a pourtant beaucoup de carrières de calcaires. Les fours à chaux s’y localisaient probablement, mais ils devaient être détruits au fur et à mesure de la progression de l’exploitation de la carrière. L’analyse géologique des pierres romaines trouvées à Entrains pousse dans ce sens : elle indique des pierres provenant d’Etais-la-Sauvain mais pas de la montagne des Alouettes plus éloignée.

Les maisons gallo-romaines d’Entrains étaient construites en moellons calcaires assemblés au mortier de chaux. Les fouilles ont aussi découvert des matériaux pouvant venir de destinations lointaines en réponse à des commandes publiques ou de familles riches. On trouve ainsi des marbres du Morvan, très rarement quelques bouts de marbre de la Méditerranée utilisés en placages décoratifs. A Autun, en revanche, riche et opulente capitale de la cité des Eduens, les marbres venant de tout l’Empire romain sont nombreux et utilisés pour les plus riches bâtiments.

Notons qu’à l’époque actuelle, certains calcaires d’Entrains, très purs, sont exploités et réduits en poudres pour des utilisations industrielles.

 

4 – La mise en oeuvre de la chaux

Pratiquement tous les murs gallo-romains sont montés au mortier de chaux. Ces mortiers ont été analysés par Michel FRIZOT pour leur composition, granulométrie etc. Les sables de Loire, constitués de grains arrondis par l’eau qui facilitent la prise et contribuent à la solidité du mortier, sont très utilisés. Ils étaient probablement transportés par le Nohain sur des barques à fond plat. Si les enduits extérieurs ne sont pas peints, les enduits intérieurs le sont généralement (à la chaux ou à fresco).

 

5 – La terre cuite architecturale

C’est une autre grande spécialité romaine. Elle est utilisée pour les toitures : les tuiles de terre cuite ont servi longtemps comme couverture avant le retour du toit de chaume après la chute de l’Empire romain.

L’argile est utilisée par les Romains et Gallo-Romains pour fabriquer des briques. Certaines régions de la Gaule comme le Lyonnais peuvent utiliser des briques crues, mais le plus souvent les briques cuites dans de grands fours. Les briques en terre cuite arrivent plus tardivement en Gaulle, au II° siècle de notre ère. Cette importation tardive explique la dégradation des remparts d’Autun : les parements en petits moellons se décollent du fait de l’absence de rangs de briques intercalaires nécessaires pour renforcer la solidité de l’assemblage. On trouve différents modèles de briques : pour le chauffage par le sol, pour les piles d’angles, pour faire les sols (plus larges), pour les toits, pour les murs.

En dehors des tuiles, différents modèles de brique utilisées pour le chauffage par le sol ont été retrouvés à Entrains pour l’instant. Cette technique est une adaptation aux maisons privées du système des thermes romains. Le climat de la Gaule, plus rude que celui de l’Italie, nécessite de chauffer les maisons en hiver. Ainsi dès qu’une maison revêt une certaine importance, au moins une pièce est chauffée par le sol, la pièce à vivre qui n’est pas forcément une salle de bain. Dans l’Yonne, des ensembles de pièces chauffées par le sol ont été fouillés à Escolives et aux Fontaines-Salées, mais là nous sommes davantage dans des établissements publics plutôt que dans de petites maisons particulières.

L’autre matériau très utilisé à Entrains est la pierre calcaire tendre débitée au passe-partout en carrière. Pour les toitures, on utilisait des dalles de plan carré (40×40 cm sur 3-4 cm d’épaisseur (laves ou lauzes). Ce calcaire facile à tailler servait aussi à préparer les chaines d’angle faites pour rester visibles.

 

Pour conclure, il faut souligner les liens qui existent entre les recherches des archéologues sur les

constructions gallo-romaines et les travaux des architectes et spécialistes du patrimoine bâti ancien. Il y a en effet une grande continuité dans les matériaux et techniques de construction qui, depuis les Romains jusqu’au milieu du 20° siècle, restent sensiblement les mêmes. C’est seulement au lendemain de la seconde guerre mondiale que l’industrialisation du bâtiment se diffuse largement et que les nouveaux matériaux élaborés en usine chassent les anciens matériaux trouvés et utilisés sur place pour la plupart.

 

Sources citées

M. FRIZOT, Mortiers et enduits peints antiques, étude technique et archéologique, Centre de recherches sur les techniques gréco-romaines, n° 4, Dijon, 1975.

M. FRIZOT, Stucs de Gaule et des provinces romaines, motifs et techniques, Centre de recherches sur les techniques gréco-romaines, n° 7, 1977.

M. FRIZOT, Le fanum de Crain, supplément n° 2, Les mortiers et les enduits, Revue archéologique de l’est et du centre-est, XXIV, fasc. 2, avril-juin 1973.