Rencontre avec Bernard COLLETTE (2010)

Bernard COLLETTE, né en 1932, est architecte en chef des Monuments Historiques et depuis 1992 Inspecteur Général des Bâtiments Civils et Palais Nationaux. En 1973, il fut chargé de la Nièvre et de l’Yonne. Dans l’Yonne, ses principaux ouvrages ont concerné la cathédrale Saint-Étienne et l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre ainsi que la cathédrale et le Palais synodal de Sens. Il est maire de Jouancy où il a assuré la restauration du château qu’il habite. Il est Vice-Président du CAUE de l’Yonne. Il a reçu MPY en 2010.

 

MPF : Le thème de cet entretien concerne la restauration d’une maison ancienne. Comment concevez-vous cette action ?

Restaurer c’est altérer !

En pratique, il faut distinguer deux actes de restauration.

Le premier répond à une nécessité objective. Il concerne une maison vétuste à réparer ou qui a besoin d’une extension pour l’adapter aux besoins de la vie moderne. Cet acte doit par ailleurs tenir compte des exigences économiques résultant des moyens monétaires du propriétaire par nature « rares ». Cette forme de restauration est fréquemment imparfaite mais elle appelle l’indulgence car elle a le grand avantage d’éviter que la maison ne s’écroule.

Le second acte vise à marquer son territoire en changeant les formes et les couleurs (parfois les matériaux) d’un bâtiment pour affirmer sa présence. Cette originalité gratuite, simplement pour se distinguer, est très critiquable.

Dans le premier cas, l’argent commande, dans le second cas c’est le mauvais goût et l’ignorance du propriétaire qui l’emportent !

 

MPF : Comment faire pour éviter ces deux écueils ?

Pour soigner la maladie, un seul remède : la connaissance.

On peut y accéder en prenant un architecte qui, en principe, par sa formation a du acquérir le savoir. Mais si l’architecte choisi se rattache à une tendance moderniste brutale et se moque de l’ancien, le remède peut être pire que le mal !

L’important est de savoir que l’on ne sait pas et que la curiosité seule permet de comprendre et donc de préserver un bâtiment ancien. Il faut éduquer l’œil et l’habituer à regarder, ce qui est très difficile. En effet la copie fidèle, parfois nécessaire dans une restauration, pour les ornements sculptés  par exemple, est très ardue à mener à bien : dans le cours du travail, presque involontairement, l’œil change et l’ouvrier ou l’artiste se trouve influencé par des modes et des réflexes modernes sans rapports avec l’objet qu’il doit reproduire ou réparer.

Pour comprendre ce que l’on regarde, la démarche à suivre doit être analytique et porter sur les détails d’une maison : les portes, les fenêtres, les cheminées, les couleurs des volets, la taille et la forme d’une moulure…On peut ainsi engranger une multitude d’informations séparées qui permettront de mieux saisir la complexité et la richesse du bâti ancien, et peut être de faire le bon choix

 

MPF : Pour développer cette discipline individuelle, sur quelles formations peut-on s’appuyer ?

Pendant toute ma carrière, j’ai déploré l’absence à l’école primaire et secondaire, de l’enseignement de l’histoire de l’art. Je pense ici à l’art populaire et non aux arts de cours (Versailles). Dans le passé, le meilleur enseignement était celui de la leçon de choses que dispensait l’école communale de la III° République. On y apprenait la balance de Roberval, le thermomètre, les différentes sensations de froid et de chaud que donne le toucher du fer et du bois et divers autres éléments, sans jamais parler de  beauté mais en se cantonnant sur le vrai et l’authentique.

Le vrai et l’authentique, c’est par exemple une maison neuve dans un lieu contemporain et non un pastiche avec un chapeau en tuiles de bourgogne qui dissimulent souvent la médiocrité ! C’est aussi respecter l’époque de construction d’une maison ancienne en la laissant « dans son jus ».

Je me rappelle l’attitude d’un descendant de Pasteur devant la maison de son illustre ancêtre, dans l’est de la France. Il voulait refaire l’enduit car il le trouvait vilain. Double erreur : d’abord parce que l’enduit était caractéristique de l’époque où il avait été fait ; ensuite parce qu’il il avait été commandé par Pasteur lui même. Il fallait donc le conserver tel quel ou bien le réparer à l’identique.

Les écoles d’architecture ne sont pas non plus d’un grand secours pour entrer dans le détail des techniques des matériaux et des formes des bâtiments anciens. Car elles n’apprennent pas ce qu’apprend l’expérience qui est la seule voie pour saisir que le bâtiment ancien est par essence d’un empirisme complexe. Ce constat issu d’une longue pratique explique mon scepticisme face aux  normes qui se multiplient à l’époque actuelle. Les normes sélectionnent des critères théoriques qu’il est certes souhaitable de suivre mais ne peuvent donner des conseils devant une maison ancienne qui a méconnu ces mêmes normes.

Face à un bâtiment ancien, il faut d’abord du bon sens à défaut de connaissances précises qui peuvent toujours s’acquérir au coup par coup et non sans effort.

 

MPF : Pour restaurer les bâtiments anciens, comment tenir compte du degré d’homogénéité du bâti ?

Si une maison est d’une facture homogène, d’une seule époque, il ne faut rien changer. Cette règle n’est pas toujours facile à suivre : par exemple les maçons préfèrent souvent des enduits préfabriqués, garantis par une grande marque ou bien ne savent pas refaire les anciens enduits en mêlant différents sables issus de lieux proches du chantier pour conserver la  couleur et la texture d’origine. En général ne jamais accepter les affirmations vagues mais gratuites du genre « ça ne se fait plus » ou « ce n’est pas possible » comme le on l’entend dire souvent : c’est la signature de l’ignorance.

Quand une maison est hétérogène dans ses styles et ses époques, cas le plus courant car la plupart des bâtiments anciens ont été bricolés par leurs propriétaires successifs, on doit conserver les éléments les plus récents. D’abord parce qu’on ne sait pas en général ce qu’il y avait avant ; ensuite parce qu’on ne peut pas, ou difficilement, remplacer ce qui a été détruit. Mais il y a évidemment des cas d’espèce qui justifient une restitution évidente.

Ne pas oublier que si un édifice ancien est agréable à regarder, c’est un miracle car les matériaux sont fragiles, l’entretien est épisodique et souvent mal fait, de plus le goût des propriétaires successifs est généralement médiocre ! Et se rappeler aussi que l’erreur est toujours possible ! Soit celle du restaurateur, soit celle de l’artisan constructeur.

Je prendrai comme exemple la Maison de bois de Joigny dite maison du Bailli où un parti de restauration a du être pris. Cette maison avait été modifiée au XIX° siècle par l’abbé Vignaud pour en faire sa résidence. La fenêtre ajoutée sur la façade de la rue a pris alors la place d’une porte bâtarde tandis que la porte existante remplaçait la porte d’un entrepôt. Par ailleurs, après la guerre de 39-45, une structure métallique avait été placée à l’intérieur pour consolider le pan de bois que les explosions de la guerre avaient fragilisé. Il fut choisi de conserver les apports de l’abbé VIGNAUD, de réparer le pan de bois et le compléter, mais d’ôter la structure métallique récente pour permettre d’utiliser la maison qui abrite aujourd’hui l’office de tourisme de Joigny. On a respecté le colombage tel que l’histoire l’avait légué, avec des écharpes disposées de manière pas toujours orthodoxe !

 

MPF : comment améliorer la connaissance du bâti ancien parmi les propriétaires et plus généralement dans le public ?

Ce n’est pas facile. On peut s’appuyer sur les ABF (architectes des bâtiments de France) présents dans chaque département lorsque leur avis est requis par la localisation d’un chantier. Mais, compte tenu de leurs nombreuses missions il ne faut pas penser les utiliser en permanence comme un service de renseignement gratuit.

On peut aussi favoriser l’éducation et  la formation comme le fait M.P.F. Les associations locales ont aussi un rôle à jouer. Ainsi l’association des « Amis du Vieux Noyers » a accepté ma proposition d’organiser une série de conférences sur la restauration du bâti ancien en procédant par corps d’Etat.

Autre possibilité nouvelle d’action : le rapprochement avec la mouvance écologique. On peut faire valoir dans cet esprit les qualités de durabilité et de sureté du bâti ancien qui utilise des matériaux solides et naturels sans émanations nocives ni pour les habitants ni pour la nature. Une maison ancienne laissée à l’abandon retourne à la terre qui l’absorbe à peu près complètement. On peut aussi valoriser les qualités énergétiques du bâti ancien qui par sa capacité à gérer l’humidité et par la forte inertie thermique de ses murs épais assure un confort d’hiver et d’été à moindre coût.

Un tel rapprochement a cependant des limites. Il ne faut pas oublier qu’habiter une maison ancienne suppose de modifier ses habitudes de vie, notamment pour le chauffage. En effet, dans les maisons anciennes on avait froid : voir le portrait de Louis XI au Louvres qui nous le montre portant à l’intérieur de son palais  chapeau, manteau et gants ! Dans une maison ancienne, il faut s’habituer à vivre l’hiver dans une atmosphère plus fraiche que celle d’une maison moderne et à faire plus largement appel à l’énergie humaine. Les résidents de fin de semaine, s’ils ne veulent pas se geler pendant leur séjour et quitter une maison quand elle est à peine chaude,  doivent aussi apprendre à gérer l’inertie thermique des murs qui, d’un coté, allonge le temps de chauffage nécessaire et, de l’autre coté, ralentit aussi le temps de refroidissement.

L’insertion du bâti ancien dans le courant écologique a par ailleurs un grand avantage : faire réfléchir sur les limites de certaines « maisons passives » modernes. L’isolation de ce type de maisons repose souvent sur la mise en place d’une enveloppe étanche qui vise à couper la maison de son environnement extérieur et oblige à prévoir des systèmes de ventilation artificielle et dépendants de sources extérieures d’énergie. Au contraire, l’isolation d’une maison ancienne ne la sépare pas de la nature mais vise à réguler les flux entre l’intérieur et l’extérieur. Elle emploie des procédés spécifiques qui ont en commun d’être « respirant » : portières aux portes, volets intérieurs en bois, doubles fenêtres, tapisseries en papier collé sur une toile de jute tendue sur un bâti bois donc très isolant, boiseries et tapisseries, enduits intérieurs renforçant l’inertie des murs etc. La question n’est pas de savoir quelle est la meilleure solution mais de poursuivre les recherches dans une discipline relativement nouvelle. Ces recherches devraient permettre de maintenir en France l’important patrimoine bâti ancien qui y subsiste encore sans le défigurer.

 

MPF : Et la couleur ? comment l’utiliser dans la restauration d’une maison ancienne ?

C’est un point auquel j’attache une grande importance. Aujourd’hui tous les pots de peinture sont au même prix chez le marchand. Dans ces conditions, le choix n’obéit pas au coût du produit mais au mauvais goût du propriétaire ou à son souci de se démarquer de ses voisins. Or la beauté d’un village ancien ne résulte pas de fausses originalités venues d’une autre région mais de la gamme des coloris du pays.

Mais le choix n’est pas toujours aisé car dans les villages anciens la couleur n’est pas uniforme et offre au contraire à l’œil un agréable camaïeu dans lequel il faut choisir.

Dans l’Yonne, prédomine souvent pour les volets une gamme de gris. Or pour faire un beau gris tourterelle, on ne peut et on ne doit pas simplement couper du noir avec du blanc. Il faut un mélange qui associe au noir et au blanc des ocres, de la terre d’ombre, de la terre de Sienne et parfois une pointe de bleu.

Les murs de soutènement et les grilles ne doivent pas brouiller la douceur du paysage. Il faut donc les masquer ou les intégrer dans le paysage par des haies pour les murs et pour les grilles par une couleur verte qui leur permet de se confondre avec la végétation.

Si l’on veut trouver une couleur originale, il faut regarder les tableaux du XVI° ou du XVII° siècle qui montrent des maisons avec des boiseries aux couleurs vives et fraiches, parfois inattendues, mais à utiliser avec prudence.

L’Angleterre a conservé cette tradition alors qu’en France le gris Trianon a dramatiquement envahi les maisons. C’est une des ironies de l’histoire. En effet, au moment de la reconstruction du Trianon, Louis XIV était pressé et désargenté. Il était gêné en outre par les mauvaises odeurs des peintures à l’huile dont le séchage demandait à l’époque un long délai. Mansart va alors faire peindre murs et plafonds au blanc de meudon (peinture à l’eau) pour ne pas gêner le roi, pour aller vite, pour limiter le coût, enfin pour ménager la possibilité d’ajouter des décors (habituels au XVII°) dans une phase ultérieure. Ce blanc royal va être imité par la  haute noblesse, puis par la petite, puis par tous les propriétaires de maison. Avec l’usure du temps, le blanc devient gris, donc pour mettre en propreté on va refaire progressivement un gris, qui va foncer avec le temps jusqu’au gris Trianon actuel, qui n’a en fait jamais existé.

 

MPF : Et pour la matière, faut-il systématiquement préférer les peintures « naturelles » qui reviennent en vogue en ce moment ?

Les peintures naturelles ont l’avantage de ne pas émettre de substances nocives comme le font les peintures glycérophtaliques, cellulosiques ou autres (qui devraient bientôt être interdites ?).

Penser que jadis on avait rarement des teintes pures, il convient donc d’utiliser des tons cassés c’est à dire mélangés. Les bases à utiliser sont les ocres : la palette va du jaune au brun en passant par le rouge. Eviter les teintes chimiques, chères et souvent instables et se rappeler que l’Yonne est le pays de l’ocre.

Les lasures sont pour moi une escroquerie. Elles sont composées de peinture bas de gamme mélangée à 50% d’essence. Cette invention permet de vendre cher un produit de qualité médiocre.

On ne peut pour autant pas les confondre avec les peintures dites « faux bois » qui étaient un décor largement utilisé dans le passé.

Le bois a besoin de peinture opaque pour être protégé contre le vent, la pluie mais surtout le soleil et la lune, ses fibres en cellulose étant particulièrement sensibles aux ultras violet. Sinon, ces dernières sont emportées et le bois se creuse de profonds sillons avec le temps.