Entretien avec Jean Ravisé, président de la SHY (automne 2015)

propos recueillis par Hélène Delorme et Véronique Le Lann

Jean Ravisé nous a reçues chez lui à La Ferté-Loupière le 17 août 2015. Nous rendons compte ici de l’entretien qu’il nous a accordé.

Formation et parcours.  Une vie au service du paysage.

Jean Ravisé a une solide formation, théorique (écoles d’horticulture de Montreuil puis de Paris) et pratique (concepteur de jardins dans plusieurs entreprises, à Paris, en Guadeloupe comme militaire au camp de la Jaille, à Auxerre). Après ce « grand tour », il s’installe dans l’Yonne où ses racines familiales remontent jusqu’en 1605. Pendant 35 ans de vie professionnelle, il développe son entreprise sur trois bases : La Ferté-Loupière, une pépinière à Saint-Fargeau et un point de vente près de Joigny. A 50 ans, il programme la transmission de son entreprise à ses employés et monte un bureau de paysagiste qu’il arrête en 2003. C’est qu’il a deux mandats très prenants : depuis 2001, celui de maire de La Ferté-Loupière (auquel il renonce en 2014) ; depuis 2004, celui de président de la Société d’Horticulture de l’Yonne. Avec 400 à 500 adhérents, la SHY est une grosse machine que J.R. structure autour de groupes d’intérêts (potager, fruitiers, art floral, fleurs, paysage,  sciences de la terre). Actif dans le concours des villes fleuries, J.R. est également président du jury régional du fleurissement.

Dans le temps, on parlait de jardinier, aujourd’hui on dit paysagiste. Que signifie cette évolution du vocabulaire ?

Le terme de paysagiste apparaît dans les années soixante. Il permet de distinguer deux métiers auparavant confondus : celui du concepteur, qui dresse le plan du jardin en tenant compte de tous les paramètres (paysage, espace, humain, paramètre essentiel car un jardin doit d’abord permettre de vivre mieux) ; celui de l’horticulteur qui a les connaissances techniques pour réaliser le jardin. Ainsi le métier de paysagiste est-il protégé : en cas d’association avec un architecte par exemple, son apport est désormais reconnu.

Comment à partir du métier de paysagiste conçoit-on le patrimoine bâti ?

Pour notre interlocuteur, le paysage et le patrimoine bâti sont indissociables et ne peuvent se concevoir indépendamment l’un de l’autre. En Allemagne ces liens sont compris depuis longtemps : la reconstruction d’après-guerre s’est faite autour de trois métiers, l’urbaniste, l’architecte et le paysagiste.

En France, les choses sont moins claires. En témoigne l’expérience vécue au Mans lors de la réhabilitation de logements des années cinquante devenus invivables. Les jardins de la cité étaient régulièrement vandalisés. J.R. imagine une formule fondée sur l’appropriation par les habitants : délimitation des jardins par bâtiment, création de carrés à disposition de ceux qui le souhaitent, consultation et inclusion des habitants… Hélas la mairie n’a pas donné suite.

A La Ferté-Loupière, l’ancien maire a largement mis en œuvre la convivialité jardinière. La cour de l’école est animée par un jardin dont les enfants s’occupent. La fête des plantes permet d’échanger ou de vendre des végétaux. Dans les anciens fossés, un terrain mis à disposition d’un ancien très bon jardinier du village, Octave Dumont, est devenu « le Jardin d’Octave » où une association fait aujourd’hui découvrir les plantes vivaces. Acanthe, association d’artistes, porte ce nom car le paysage est aussi un art. Enfin, J.R. a transmis son jardin à une association qui en prend soin. Petite inquiétude : l’avenir de ces initiatives est incertain, surtout à cause du renouvellement difficile des bénévoles dans une période marquée par le consumérisme individualiste.

Dans l’Yonne, J.R. déplore que les relations entre le paysage et le bâti soient compliquées, sauf dans les grandes propriétés où le paysage est traité en tant que tel. Dans le bâti modeste, le fonctionnel prend le dessus et l’environnement végétal est négligé. L’Yonne n’est pas la Touraine et les gens n’y sont pas jardiniers. Traditionnellement, on plantait des arbres haute tige pour les mettre hors de portée des vaches et on se moquait du reste. Les terres difficiles laissaient peu de temps au cultivateur. Quant à la mère de famille, prise par ses tâches ménagères, elle consacrait peu de temps au soin du jardin.

Quels enseignements tirer de l’expérience vécue à La Ferté-Loupière sur les possibilités et les outils à la portée d’un maire pour défendre le patrimoine ?

Avec ses 497 habitants, La Ferré-Loupière n’a ni PLU ni POS. Le prédécesseur de J.R. avait tenté de créer une ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager). Mais sans succès : désaccord de la majorité des élus et de la population, qui ont hué l’ABF venu leur expliquer la formule, changement de la réglementation (remplacement des ZPPAUP par des AVAP – aires de mises en valeur de l’architecture et du patrimoine), concurrence entre la DDT, compétente pour le PLU, et la DRAC, compétente pour les zones de protection du patrimoine. Il est depuis difficile de surmonter cet échec, la population et les élus étant toujours réticents car mal informés.   

Les élus choisissent le plus souvent les décisions les plus simples et les plus consensuelles. Ce qui explique l’usage très exceptionnel de l’article 123-1-5 § 7 du code de l’urbanisme. Pour les habitants, cet outil est vu non comme un avantage mais comme une agression qui limite leur liberté d’action, peut augmenter le coût d’entretien et risque de réduire la valeur marchande d’une habitation. La démarche pédagogique, pour utile qu’elle soit, est peu praticable car elle est étrangère à l’esprit du monde rural, en tout cas à La Ferté-Loupière.

Les réalisations qui ont été menées à bien ont demandé beaucoup d’efforts et d’acharnement. Il a fallu surmonter les réticences de la majorité du Conseil municipal, insister beaucoup pour chaque projet et surtout déployer des trésors d’ingéniosité pour mobiliser les ressources nécessaires. C’est dans ces conditions que « la bibliothèque » a été réhabilitée au centre du village. Ce bâtiment, qui se trouve sur la nouvelle « place de l’étoile », offre 4 logements locatifs, une bibliothèque, un local occupé par l’association Acanthe et le relais poste.

Autre succès : la restauration des toitures de l’église où les économies réalisées sur le budget prévisionnel ont permis d’élargir les réparations aux vitraux, à l’escalier à vis qui monte au grenier, aux deux sacristies, à l’installation électrique. Par ailleurs, a été réhabilité le presbytère où sont installés un logement accessible aux personnes handicapées et un local pour infirmière. Deux chaudières à bois chauffent le bâtiment de la « bibliothèque » et ses logements, d’un côté, la salle des fêtes, de l’autre côté, entièrement mise aux normes pour recevoir le public.   

Bien sûr le programme de valorisation du patrimoine historique n’est pas terminé :

la tour du XIIIème a bien été dotée d’un escalier mais reste inapte à la visite,

– les imposants fossés (peut être d’époque gallo-romaine) restent en friche et méritent une attention particulière,

– le foisonnement des sites ferriers sur le territoire communal (importante production de loupes de fer, peut être à l’origine du nom « Loupière ») reste une piste d’intérêt majeur,

– la vie associative riche et variée reste à encourager en tant que véritable outil de dynamisation.

Convaincu que l’importance de ces actions pour renforcer l’attractivité du village, vitale pour son futur, ne peut être ignorée, le « bonhomme » reste confiant, sa détermination ne faiblit pas, sa tête reste pleine de projets et de rêves.