Rencontre avec Philippe Hermet

Philippe Hermet est diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d’un DESS d’urbanisme. Il est actuellement directeur de la stratégie et des nouveaux montages à la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Il nous a reçues le 30 janvier et le 6 mai 2016. (La version courte de cette rencontre est consultable dans La Lettre des Maisons Paysannes de l’Yonne, 19, été 2016)

 1 – Le péri-urbain et le rural, nouveaux champs d’intervention.

Le phénomène mondial majeur des dernières décennies est la métropolisation, qui désigne l’accroissement rapide des grandes villes dont la mise en concurrence à l’échelle mondiale favorise la concentration de la population, du pouvoir, des richesses et de l’emploi. Ce contexte a conduit à mettre de coté le péri-urbain et le rural, c’est-à-dire tous les espaces interstitiels entre les grandes métropoles et leurs villes moyennes satellites, comme Paris et sa ceinture de villes (Reims, Montereau, Sens, Orléans, Chartres…).

Longtemps, la vision dominante a opposé les villes et leurs banlieues aux zones rurales qui les entouraient, censées être le domaine de la production agricole géré par la politique agricole avec au mieux une fonction de zones vertes pour les urbains. Or la métropolisation a des conséquences lourdes et autrement plus complexes sur les campagnes qui les entourent.

Dans les années 1950-60, le mouvement majeur était l’exode rural et agricole qui entraina la désertification des campagnes. L’Yonne fut un des premiers départements soumis à ce mouvement. Puis, dans les trente années qui suivirent, l’évolution des modes de production et de déplacement modifia le rôle des campagnes, où les agriculteurs sont désormais minoritaires. Aujourd’hui, elles deviennent de nouveaux lieus de travail. Aux populations qui y habitent par obligation parce que la vie y est moins chère, s’ajoutent des populations aisées et hyper-connectées, ayant un travail mobile et souvent branché sur l’économie internationale, qui habitent les campagnes péri-urbaines par choix.

Cette nouvelle structure sociale peut être une chance pour les villages à qui elle ouvre de nouvelles façons de vivre. Mais cette revitalisation est aussi source de difficultés car elle suscite des conflits entre anciens et nouveaux habitants dont les codes, les rites, les usages ne coïncident pas.

2 – Quel impact ont ces confrontations actuelles sur le patrimoine rural ?

 La question est de savoir comment faire aimer et apprécier le patrimoine rural par ces populations néo-rurales. Pendant longtemps, le rural se distinguait facilement de l’urbain, jouant la fonction de poumon vert des villes. Aujourd’hui, les choses se compliquent. Pour le patrimoine rural, la néo-ruralité peut être un grand risque, si la misère urbaine vient grossir la misère rurale, mais aussi un potentiel de renouveau, si les nouveaux arrivants assurent une diversification des structures sociales et favorisent de nouveaux modes d’habiter ce patrimoine.

3 – Que faire ? Deux pistes générales.

 Pour éviter le risque et saisir la chance, deux pistes générales doivent être suivies de manière coordonnée. La première : réfléchir sur le péri-urbain et le rural pour comprendre comment lui redonner vie entre les métropoles qui l’entourent. L’objectif : éviter l’étalement foncier dans des lotissements, la ruine des centres anciens, les zones commerciales. La seconde : mobiliser les moyens financiers nécessaires à une nouvelle attractivité des centres-bourgs, des écoles, de l’accès internet.

 4 – Réinvestir l’action publique.

 Beaucoup reste à faire pour préciser le contenu de la politique à mener. D’abord définir le bon pas-de-temps pour comparer les coûts. A cour terme, un lotissement est moins cher pour le budget d’une commune que la rénovation du patrimoine bâti du centre-bourg (bien que les prix au m2 du foncier et du bâti y soient inférieurs). A moyen terme, les rapports s’inversent : alors qu’une mairie peut vendre ou louer le bâti rénové de centre bourg, elle doit supporter la charge d’entretien des rues des lotissements qui, privées au départ, deviennent publiques au bout d’un certain temps.

Autre mesure importante à prendre : délimiter correctement les frontières entre l’espace public et l’espace privé. Au cours du 19° siècle, la notion d’espace public s’est affirmée à coups de nombreux arrêts du Conseil d’État qui précisèrent les règles de délimitation. Dans les campagnes, cette politique se traduisit par la construction de murs et de grilles qui, à la fin du siècle, marquèrent nettement la frontière entre espaces public et privé.

Mais on assiste peu à peu à un abandon de l’espace public des villages qui n’est pas sans rappeler les problèmes des grands ensembles construits dans les années 1960. L’espace entre les immeubles fut alors considéré comme un espace « libre » appartenant à tous et à personne. Non respecté par les habitants, cet espace libre posa en outre un problème pour l’intégration des nouveaux arrivants, souvent immigrés étrangers qui ne possédaient pas les codes des catégories spatiales françaises.

L’exemple lyonnais montre que l’investissement dans l’espace public est payant. Pour restructurer la place de Vaux-en-Velin, la municipalité a mis l’espace public au même prix que celui de la place Belcourt en centre ville de Lyon. Ce choix a déterminé un bon calibrage de l’espace public qui a été adapté au bénéfice des espaces privés entourant chaque immeuble. Ces derniers ont été agrandis et affectés aux habitants qui ont pu réapprendre à vivre ensemble à partir de la parcelle reçue.

Dans les campagnes, c’est au politique de définir les espaces publics du centre, de dessiner les lotissements, de créer une ceinture verte en limite des champs cultivés.

5 – Faire confiance à l’organisation des citoyens.

En Hollande, l’agrandissement d’Amsterdam fut l’occasion de faire avancer la réflexion sur l’extension des villages. Au départ, la consultation de la population aboutit à concentrer l’urbanisation sur l’un des deux lacs existant aux abords de la ville. Dans la zone asséchée, on a préservé les anciens villages, créé de nouveaux et maintenu des zones agricoles. La décentralisation a été loin : dans certains villages, des associations, constituées par les futurs habitants, ont reçu du gouvernement le pouvoir d’urbaniser à la condition que leurs adhérents s’engagent à habiter sur place et à respecter le tracé général. Les grandes thématiques qui remontent de cette expérience sont : l’intergénérationnel et la mixité sociale ; une structure économique capable de produire sa nourriture avec une ferme coopérative installée au milieu du village ; une autonomie énergétique par l’utilisation de la biomasse (rejets des animaux) et de la géothermie (en cours de mise en place).

Même si ces expériences sont sans doute difficilement reproductible telles quelles dans les pays d’Europe du Sud, où la vie commune est moins régie par le contrat que par la loi, elles peuvent indiquer des pistes, comme la promotion de projets citoyens reposant sur des objectifs communs : alimentation bio, circuits courts, éco-construction…

6 – Le changement des populations dans les campagnes.

D’autant plus que dans les campagnes, le changement des populations est rapide et notable. Il est impératif de tenir compte de ces nouvelles structures sociales. Or beaucoup de maires continuent souvent à ne s’occuper que des agriculteurs. Ainsi, ils n’entretiennent pas les chemins qui concernent directement les néo-ruraux, pour le déplacement ou pour le loisir. Toutefois, certains maires confient à des associations l’entretien des chemins de randonnée, ce qui mobilise les gens et crée de la sociabilité.

6 – La réhabilitation des centres villes anciens.

Pour réhabiliter les centres villes anciens, à la campagne comme à la ville, il faut d’abord y réintroduire l’indispensable mixité sociale et la multifonctionnalité des espaces. La première mesure à prendre est de construire (ou d’offrir) une gamme variée de logements, accessibles à des familles de niveaux de richesse différents.

Les centres villes anciens sont souvent très denses et sombres. Leur rénovation implique l’intervention d’architectes assez intelligents pour mener habilement une dé-densification respectant leur caractère. Car pour remettre en valeur le bâti ancien, il faut faire du neuf, qui est porteur de la valeur immobilière. En effet, certaines fonctions typiques de la vie moderne ne peuvent être accomplies dans du bâti ancien. Exemple : les commerces dont le développement en centre-ville passe par des supérettes qui ne peuvent être logées dans l’ancien. Et là, le moche n’est pas toujours sur. On peut citer l’exemple de Canterbury, l’une des plus anciennes villes d’Angleterre, où on a réussi à loger en plein centre ville un « Marx and Spencer » et un parking-silo habillé, qui s’imbriquent l’un dans l’autre et à des boutiques et des logements sans déparer le cadre ancien.

Autre exemple : les parkings, indispensables pour amener le public en centre-ville. Deux formules sont possibles : des parkings souterrains, coûteux (15 à 20.000€ la place), des parkings en silo, moins dispendieux (10.000€ la place). Le cas de Strasbourg montre qu’il est possible de construire un beau parking silo qui s’intègre bien dans un quartier historique.

Autre nécessité : veiller à promouvoir des activités diversifiées. Les établissements d’enseignement comme les équipements publics doivent revenir en centre-ville. Dans cette optique, la première question à se poser est celle de la cohabitation entre équipements publics et autres bâtiments.

L’évolution de la grande distribution ouvre un espoir pour la relance des centres villes et bourgs. Les hyper de banlieue, typiques des décennies précédentes, deviennent obsolètes et voient leur rentabilité diminuer. Le phénomène est déjà visible dans les grandes villes où les distributeurs reviennent en centre-ville sous forme de supérettes. Aujourd’hui, la ménagère préfère faire ses courses plusieurs fois par semaine. L’identifiant social n’est plus, comme dans les années 1970, la consommation de masse structurée sur un modèle de consommation collective autour d’un produit unique (le modèle Nutella). La phase actuelle est celle de la société post-consommation où les attentes des consommateurs se spécifient : chacun cherche à individualiser sa consommation (manger sain, acheter local, hard discount, concept store…) selon les différents niveaux de revenus. Il y a donc une véritable politique à mener pour accompagner dans les villes et les bourgs le retour à ces commerces de proximité, quitte pour le responsable public à acquérir les locaux et les mettre à disposition.

Les initiatives locales sont à encourager par des aides nationales dans le cadre d’appels à projet. La décision prise en janvier 2016 de créer un fonds exceptionnel de soutien de l’investissement local et de le doter d’un milliard d’euros en 2016 (dont 500 millions pour les projets de rénovation énergétique, 300 pour les bourgs-centres des communes de moins de 50.000 habitants et 200 pour les petites communes) témoigne de la prise de conscience de la nécessité d’agir. Les territoires ruraux sont des territoires d’avenir.