Rencontre avec Jean-Claude CARRA (2012)

H. Delorme et V. Le Lann ont rencontré M. Carra le 20 novembre 2012 en compagnie de Mme Basset, adjointe aux monuments et aux recherches historiques. Né à Auxerre et ancien inspecteur principal des impôts, il habite depuis 25 ans Brienon où son épouse exerce la profession de médecin. Son premier mandat municipal commence en 2001. En 2004, lors des élections provoquées par la défusion avec la commune de Paroy, la liste sans étiquette qu’il présente avec Mme Basset est élue en totalité au premier tour. M. Carra cesse alors son activité professionnelle et se consacre à plein temps à son activité de maire. En 2008, la liste municipale sortante repasse et M. Carra est élu conseiller général comme non inscrit.

 

1 – Pourquoi porter attention au patrimoine ?

Deux caractéristiques de Brienon motivent l’attention que la mairie porte au patrimoine. L’importance et la qualité du patrimoine bâti d’abord. Brienon compte 2 monuments classés (la collégiale Saint Loup et le lavoir de la Poterne) et plusieurs immeubles non classés remarquables (la mairie et son théâtre “perché”, le château Saint Loup qui abrite aujourd’hui les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, l’église de Bligny). Entretenu jusqu’au XIX° siècle, ce patrimoine a été laissé dans un complet abandon au XX°, accompagnant et consolidant l’évolution duale de la population de Brienon, écartelée entre une minorité de familles aisées et une majorité de familles très pauvres, dont une part élevée de “quart monde”.

L’idée a été de s’appuyer sur la restauration du patrimoine bâti pour rééquilibrer la structure sociologique de la ville. D’abord en fournissant du travail aux populations pauvres, au moyen des chantiers d’insertion. Ensuite, en améliorant l’attractivité de la cité pour les classes moyennes par la rénovation du cadre immobilier. Enfin, en redonnant de la vie à la commune par l’organisation d’expositions, de spectacles dans et autour des monuments restaurés.

Outre ses retombées économiques, l’action patrimoniale a un impact humain fort car elle redonne fierté et sentiment d’identité aux habitants de Brienon. Pour la collégiale sont prévus à sa réouverture: dans les chapelles, un espace dédié à l’exposition des nombreux et riches objets d’art religieux ; des concerts mensuels gratuits des Petits Chanteurs à la Croix de Bois ; des animations sur la culture gothique pour les enfants. Dans la ville, des panneaux guident un circuit de visite des monuments, rendus coquets par un fleurissement approprié.

Le soutien des habitants de Brienon est facilité par le fait qu’ils n’ont pas à supporter de hausses des impôts locaux plus fortes que celles du coût de la vie. A vrai dire, ils ont hâte que la collégiale, fermée depuis la chute d’une pierre d’une croisée d’ogive en 2009, soit réouverte !

La politique patrimoniale est d’autant plus efficace qu’elle n’est pas isolée. La mairie soutient activement la création d’entreprises de services et de commerce en partageant les risques avec les entrepreneurs candidats à l’installation. Il faut citer les créations d’une blanchisserie industrielle, d’une déchèterie, d’une halte nautique, d’une entreprise de bricolage. Dans tous ces cas, les aides de la mairie au démarrage ont été remboursées. Si les aides au petit commerce n’ont pas eu le même succès, elles seront remboursées elles aussi.

 

2 – Quels sont les étapes et les modalités des restaurations menées à bien ?

La première restauration a concerné l’église de Bligny. A suivi le lavoir, dont les poutres pourries par l’humidité ont été remplacées, le toit refait en tuiles de Pontigny, l’entrée débarrassée des poteaux EDF qui l’ornait, la datation retrouvée et corrigée (1762 et non 1792). Est venu ensuite la mairie avec son théâtre “perché” dans le grenier. Pour la collégiale Saint-Loup, la 3° tranche de travaux est en cours et devrait permettre la réouverture au culte en 2012.

Pour tous ces travaux, la mairie a réussi à monter des chantiers d’insertion avec trois partenaires : l’association VITAVIE, venue à Brienon depuis Saint Florentin et Neuvy-Sautour ; le Conseil Général et l’Etat. L’encadrement est assuré par un encadrant salarié du Conseil Général et par des intervenants extérieurs pour les aspects sociaux et financiers. Les travailleurs sont engagés pour 6 mois sur un projet intéressant qui les forme et les guide vers le retour à la vie active et à ses disciplines. Ils sont d’autant plus motivés que la mairie lie RSA et chantier d’insertion en versant un supplément de rémunération. L’ABF, service de l’Etat présent à la Région et au département, assure le suivi du chantier sur le plan architectural.

Au terme des chantiers d’insertion, la moitié des travailleurs ont retrouvé un emploi, ce qui est un bon taux.L’encadrement est déterminant pour ce résultat. Il doit assurer la formation technique sans négliger les aspects humains par l’éveil de la sensibilité au patrimoine et la mise en valeur des travailleurs avec une médiatisation dans la presse, la TV, lors de l’inauguration. Ce n’est pas une tâche facile comme en témoigne le fait que dans l’Yonne, deux chantiers d’insertion par an seulement parviennent à être montés. La procédure est lourde sur les plans financier et administratif. Ainsi la commune de Brienon a vu son personnel passer de 45 à 65 employés pour mener à bien ces chantiers.

 

3 – Le patrimoine modeste non classé a-t-il une place dans l’action de la mairie ?

Oui bien que l’action ne soit pas aisée. Une opération façade a été décidée avec l’aide de l’ABF en s’inspirant des opérations couleur réalisées par le CAUE de Côte-d’or en relation avec l’association Terres et Couleurs. Mais auparavant deux obstacles doivent être levés.

Le premier est la topographie de Brienon qui s’étend le long d’une grande rue tortueuse empruntée par les poids lourds et le trafic routier. Pour trouver une voie de contournement, la mairie a acheté dans le prolongement de la route de Joigny une maison qui, une fois abattue, permettra de diriger les camions et le trafic grand-route vers la zone industrielle et ainsi libérera le bourg des encombrements et de la pollution du trafic.

Le second obstacle est l’utilisation des maisons de la grande rue. Pour la plupart, ce sont des maisons de rapport louées à des familles modestes par des propriétaires peu soucieux de leur mise aux normes actuelles. La mairie s’emploie donc en relation avec la CAF à convaincre les propriétaires de rénover les logements et habitations en location.

La mairie a fait un premier pas en réhabilitant une ancienne maison bourgeoise pour y loger la bibliothèque municipale et son important fonds de livres anciens ainsi que l’école de musique “Clé de fa”.

 

4 – Quelle attitude à l’égard de l’architecture contemporaine ?

Pour M. Carra, le mélange de constructions modernes et anciennes est un signe du dynamisme d’une ville. Dans la pratique, il donne le pas aux considérations fonctionnelles sur les considérations esthétiques. Pour lui, le beau (matériaux, architecture) ne va pas sans le pratique (confort, économie d’énergie). Il refuse de tomber dans “l’expérimentation avantgardiste” comme on l’a fait par exemple à Auxerre avec l’achat de la très belle réalisation des architectes Arrault et Parat (ancien siège du Crédit Agricole) ou à Paris avec la Bibliothèque François Mitterrand.

Ceci explique que pour sélectionner les constructions nouvelles, la priorité de M. Carra soit “le pratique : des maisons où l’on soit bien et chauffé pas cher”. Le choix des matériaux et de l’architecture vient ensuite. Ainsi pour l’extension de l’école primaire, le projet présenté par le cabinet Le Ru, avant-gardiste avec une toiture végétalisée et des formes d’isolation innovantes, a été retenu surtout parce qu’il assurait un chauffage d’hiver et un confort d’été à coût modéré. La mairie a été sensible aussi à la compatibilité entre le vocabulaire contemporain de l’extension avec l’architecture de l’école initiale construite dans les années 1950.

Mme Basset s’attache à promouvoir la sculpture contemporaine avec deux projets. L’un sur la place de la mairie à réaliser avec les chéneaux en pierre retirés de la collégiale pour symboliser la réutilisation des matériaux. Le second sur le pont enjambant l’Armançon pour rappeler le flottage du bois des forêts d’Othe et de Maulne vers Paris qui a été du XVII au XIX° siècle une des principales industries de Brienon.

 

5 – Une pratique transférable ?

Assez peu dans le canton car le montage de chantiers d’insertion est une opération trop lourde pour les petites communes. Les échanges sont plus intenses sur les modalités du financement ce qui permet d’espérer que l’on débouchera sur un meilleur entretien du patrimoine modeste très riche du canton.

 

Le théâtre perché de Brienon/Armançon

Baptisé après une consultation de la population, le théâtre perché, nous raconte Mme Basset, est construit en 1812 dans le grenier de la “maison commune” à l’initiative du banquier Moreau, dont le fils, ami de Victorien Sardou, anime une petite société brienonnaise de lettrés. Puis le théâtre est oublié jusqu’au moment où son plancher croulant menace l’ensemble du bâtiment communal qui doit être entièrement repris et consolidé. Sa restauration, menée par M. Gautard, architecte à Joigny, a demandé une année de travaux. Elle a été particulièrement soignée avec de nombreuses consultations, de l’ABF bien sûr mais aussi de régisseurs et d’acteurs de théâtre pour mettre au point la scène, l’éclairage, le son et les loges.

Le financement, appuyé sur plusieurs sources, a donné l’occasion à la mairie de découvrir la Fondation du Patrimoine et son rôle déterminant. La restauration de la mairie et du théâtre “perché” a coûté 900.000 € dont 600.000 pour le seul théâtre. Sur ce total, le budget de la Commune a financé 100.000 €, la souscription de la Fondation 120.000 (dont 30.000 donnés par la Fondation Laffond et 30.000 par la Société Générale), la Région et le Conseil Général le solde.

Pour les MH, le financement est assuré pour 40% par l’Etat qui prend en charge les chômeurs de longue durée, pour 40% par le Conseil Général qui finance le RSA et l’encadrement, les 20% restants incombant à la commune pour les matériaux et l’intendance.