Rencontre avec Isabelle GEORGELIN (2013)

Isabelle Georgelin est vigneronne. Avec son conjoint, elle exploite à Asquins 6 ha de vignes en biodynamie dont 3 ha sont en cépage Chardonnay produisant du Bourgogne Vézelay et 3 ha en cépage Pinot Noir produisant du Bourgogne Rouge. Elle est maire depuis 2008, où la liste ouverte qu’elle a constituée avec d’autres conseillers municipaux l’a emporté (7 sièges sur 11) sur la liste du maire sortant, M. Louis-Marcel Garriga. N’ayant pas prévu d’être élue maire, ce succès complique quelque peu sa vie en lui imposant un lourd emploi du temps. A 53 ans elle est toujours en activité. « Heureusement, dit-elle, il y a le portable » et elle est bien secondée par la secrétaire de mairie, Mme Dominique LABERGE.

1 – Asquins et Vézelay :

Asquins dont le nom ancien d’Esconiurn ou d’Asconium désignerait un pays de sources et de fontaines. Située à deux kilomètres au nord de la colline de Vézelay, la terre d’Asquins fut une dépendance depuis le IX° siècle jusqu’au XVIème de l’abbaye de Vézelay. Longtemps un des principaux points de départ en France du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, l’église Saint-Jacques est aujourd’hui classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, dans le cadre des Chemins de Compostelle en France.

La commune fait partie du Grand Site de Vézelay. Dans l’organisation de mise en place pour préparer cette opération, Mme Georgelin est responsable du groupe de travail du thème 4 sur le développement de retombées économiques locales.

 

Dans l’enveloppe de crédits dégagés début 2012 par N. Sarkozy, en prélude à l’opération Grand Site, Asquins est inscrit pour la restauration des 4 tableaux représentant les docteurs de l’Eglise. Ces tableaux furent offerts à l’église au milieu du XVIII° par l’abbé Grognot qui n’hésita pas à détruire des fresques des XIII°, XIV° et XVI° siècles pour donner à l’édifice son aspect actuel, composite avec une façade et un clocher XVIII° posés sur une nef et des bas-cotés datant du XI° au XVI° siècle.

Mme le Maire soutient la construction de la « maison médicale » à l’entrée sud de Vézelay. La présence de médecins, de paramédicaux et d’une pharmacie contribuera à la vitalité des villages autour de Vézelay. L’effet sur le panorama sud de la « colline éternelle » lui semble réduit : « on voit toujours le clocher de l’église de la Madeleine en arrivant de Saint-Père ». Et elle pense que le parking sud sera rétabli à la fin des travaux.

Pour Mme Georgelin, plus préoccupante est la panne actuelle de l’opération Grand Site, qu’elle attribue moins à l’incertitude des responsables locaux et nationaux sur les mesures à prendre pour restaurer ce site millénaire sans l’abîmer, qu' »au manque d’argent ». « On n’est pas tout seul en France », remarque-t-elle, pour expliquer l’impact de la rigueur budgétaire nationale, d’autant plus ressenti que « les petits villages du Vézelien » n’ont pas les budgets nécessaires pour financer seuls le coût de l’entretien de leur important patrimoine.

2 – La mairie d’Asquins et son patrimoine :

La commune d’Asquins attache un grand prix à la sauvegarde de son important patrimoine bâti. La continuité qui s’observe sur ce point entre les équipes qui se sont succédées au conseil municipal dans les quarante dernières années en témoigne. La commune d’Asquins est adhérente des MPF depuis 1990. La collection de la revue qu’elle possède depuis cette année-là intéresse Mme Georgelin qui y trouve une information utile pour son activité. Elle a particulièrement apprécié le dossier sur « Le village dans son territoire » (n° 182, hiver 2011) et trouve également instructifs les exemples de restauration qui y sont analysés.

Autre signe d’intérêt pour le patrimoine : le budget communal. En 2013, le budget pour l’entretien et la restauration du patrimoine atteint 570.000 €. Outre la restauration des 4 tableaux mentionnés ci-dessus, sont inscrites une opération « Cœur de village » e. Pour ces opérations, la commune a reçu des fonds de l’Etat (pour les tableaux), de la Région (pour le Cœur de village), et du Conseil Général de l’Yonne.

Pour Mme Georgelin, le patrimoine n’est pas seulement un souvenir du passé ou le fondement de l’identité d’Asquins et de ses habitants. Elle le considère aussi comme un facteur de développement pour la commune, par l’apport de ressources au budget municipal (loyers). Cet objectif a guidé la réorientation de l’opération « Cœur de village », après son élection, vers la rénovation d’un logement dans l’ancien presbytère ainsi que d’un commerce multi-services et de deux logements dans l’ancienne boucherie (dont elle veut conserver la belle grille XIX°). En même temps, sera sauvegardé l’érable qui orne la place d’entrée du village.

La situation d’Asquins, à vol d’oiseau de Vézelay, facilite la location des appartements communaux pour lesquels la liste d’attente est longue. Elle attire aussi les vacanciers (qui font doubler la population à la belle saison) dans les 9 gîtes existants et dans les roulottes disponibles au camping municipal. 

3 – Les paradoxes de la réglementation protectrice du patrimoine

Vue sa situation, Asquins connaît bien la réglementation française de protection du patrimoine. Or Mme Georgelin s’interroge sur les conditions d’application de cette réglementation. Elle observe un paradoxe fréquent : soit l’ABF et son service n’interviennent pas à l’encontre de propriétaires qui, sans autorisation, procèdent à des interventions mal adaptées techniquement et esthétiquement ; soit ils obligent à des interventions dont le bien-fondé n’est pas toujours évident, soit qu’elles changent avec le titulaire, soit qu’elles ne respectent pas les traditions locales, soit les deux.

 

Ainsi, la mairie entretient en ce moment une controverse avec l’ABF sur les enduits extérieurs. Asquins était un village de vignerons pauvres qui vivaient « sous le joug des moines de Vézelay à qui ils louaient tout ce qu’il fallait pour exploiter leurs vignes ». Aussi la plupart des maisons et toutes les granges sont en pierres sèches. Les quelques façades enduites appartenaient à la minorité de familles aisées. Or aujourd’hui, l’ABF préconise d’enduire les façades lors des réhabilitations, y compris celles des granges transformées en habitation. Pour la mairie, ce parti n’est conforme ni aux pratiques anciennes ni au cachet que donnent à Asquins les façades en pierres sèches.

Discussions aussi sur le nuancier de couleurs. Pendant un temps, l’ABF a fait appliquer le nuancier du Parc du Morvan. Or les couleurs fortes de ce nuancier ne sont pas celles du Vézelien où l’on préfère des teintes plus claires et douces proches de celles de l’Avallonnais (voir les échantillons exposés sur un mur à l’entrée du village). Heureusement, l’ABF est plus souple aujourd’hui et ouverte à la discussion.

Le risque d’exigences trop lourdes ou inadaptées seraient de bloquer la restauration des maisons existantes et ce faisant de perturber l’équilibre financier déjà fragile des communes, par la diminution du nombre d’habitants, la baisse des impôts ou dérives architecturales.

4 – Patrimoine et environnement

 

Mme Georgelin s’attache aussi à défendre le cadre environnemental et naturel du patrimoine bâti. Deux initiatives remarquables. La première, appuyée sur son expérience professionnelle, consiste à renoncer aux désherbants chimiques et à utiliser « le vinaigre à 14°, le bicarbonate de soude ou la binette ». La mairie préconise en second lieu l’implantation de graines de plantes locales (roses trémières ou bâtons de Saint-Jacques, verges d’or, monnaies du pape …) qui poussent partout, décorent le village et sont d’excellents couvre-sols.

5 – Des habitants qui « adorent leur village »

Peu de constructions contemporaines à Asquins (une maison en bois il y a 5 ou 6 ans) à cause de la rareté et de l’exiguité des terrains constructibles qui obligent à des regroupements de parcelles augmentant considérablement les frais notariaux.

En revanche, la sauvegarde du patrimoine peut compter sur le soutien des habitants d’Asquins qui « adorent leur village et essaient de faire au mieux ». Mme le Maire préfère la concertation à la punition. Elle aide à mieux apprécier le surcoût que peut comporter la restauration d’un bâti ancien avec des matériaux appropriés en faisant valoir que ce choix augmente la durée et le confort de vie des maisons anciennes ainsi que leur valeur marchande. Progressivement, elle s’efforce de revenir sur les dommages faits par les rénovations cimentées des années 1960-70. Si elle considère qu’un dossier est défendable, elle l’accompagne auprès de l’ABF.

 Voilà pourquoi Asquins a sauvegardé l’essentiel de son patrimoine et reste un des beaux villages de l’Yonne.