Rencontre avec Agnès BLANCARD (juillet 2010)

Rencontre avec Agnès BLANCARD, maire de Villecien

 

 

Agnès BLANCARD est maire de villeciedn. H. Delorme et V. Le Lann l’ont rencontrée le 13 juillet 2010 à Joigny dans les locaux de la Communauté de Communes du Jovinien

 

 

MPF : Pouvez-vous préciser votre parcours et vos fonctions à la Com.com ?

 

 

J’ai une formation de fonctionnaire territorial et occupais le poste de directrice générale des services dans une mairie du Sénonais. A Villecien, je suis depuis 19 ans conseillère municipale adjointe au maire et maire depuis 11 ans.

A la Communauté de Communes du Jovinien, je suis responsable de l’habitat et de l’aménagement urbain depuis la création de la Com.com en 2002. Ce poste est délicat car il implique d’affronter les particuliers et les mairies pour les empêcher de faire des bêtises quand ils s’occupent du patrimoine modeste. Il est peu demandé ! C’est sans doute une des raisons qui explique que la nouvelle équipe municipale a accepté ma candidature et m’a laissée à ce poste ! Il faut beaucoup de patience, d’explications et de persévérance pour convaincre et conduire les propriétaires, les artisans, les élus, le public à comprendre ce qui est bon et beau pour le patrimoine bâti. On arrive de cette façon à faire avancer la cause du patrimoine, mieux que par la contrainte qui doit rester le dernier recours. Les bonnes relations qui règnent avec la mairie de Joigny et ses responsables pour l’urbanisme sont un autre facteur qui facilite ma tâche.

 

La Communauté de communes du Jovinien a été créée le 12 juillet 1999. Cette structure intercommunale  compte 13.631 habitants et regroupe 6 communes : la ville de Joigny (10.790 hab.) et les villages de Béon, Bussy-en-Othe, Champlay, Looze et Villecien.  Ses compétences sont économiques (gestion de ZI, ZA etc, développement économique), urbanistiques (ZAC, SCOT, voirie…), collecte et traitement des déchets, habitat (OPAH, programme local…). Présidée par Nicolas SORET, adjoint au maire de Joigny, son conseil compte 26 conseillers communautaires désignés par les conseils municipaux.

 

2 – Quelles sont les mesures prévues par la Com.com. en faveur du patrimoine modeste et de sa restauration ?

 

Il y a d’abord les subventions du Fonds Façade. Elles sont attribuées sans conditions de revenu aux propriétaires occupants pour refaire les façades de leur maison.

La Com.com donne aussi des aides aux propriétaires occupants pour les travaux d’isolation visant des économies d’énergie et pour la mise aux normes à destination des personnes à mobilité réduite.

La Com.com complète par ailleurs les aides attribuées par l’ANAH sur la base d’une grille qui réévalue de 50% les plafonds de revenus retenus l’ANAH. J’aide aussi aux démarches administratives auprès de l’ANAH.

Je prépare deux nouvelles conventions pour renforcer les aides du Fonds Façade. La première serait signée avec la Fondation du Patrimoine en direction des particuliers. La seconde serait conclue avec l’association PACT, qui a remplacé le CIL et qui, avec l’appui financier du Conseil Général, aide les propriétaires bailleurs à remettre en état les logements vacants afin d’éviter qu’ils soient déclarés en péril.

Pour l’avenir, j’envisage de proposer à la Com.com une réglementation en faveur des enseignes afin de pouvoir les subventionner dans le cadre du Fonds façade. Cela pourrait soutenir la création d’un poste de travail pour un artisan ferronnier ou serrurier qui pourrait occuper une des nombreuses boutiques vides du vieux Joigny. Je m’inspire pour cela de l’expérience de Noyers-sur-Serein dont le règlement sur les enseignes me semble prometteur.

Dans tous les cas, je m’attache à accompagner ces aides financières de conseils techniques et esthétiques, en m’appuyant sur l’expertise du STAP (Service territorial de l’architecture et du patrimoine). Je me déplace avec l’architecte des bâtiments de France sur les lieux pour donner des conseils. Il faut veiller à ce que les enduits soient faits avec des chaux naturelles, seules cohérentes avec le bâti ancien, avec des couleurs conformes au nuancier défini par la ville. Dans ce but, je conseille aux propriétaires de demander aux artisans des échantillons d’enduit pour la façade, afin d’éviter les mauvaises surprises. Ce n’est pas une question de coût mais de goût.

Je fais aussi des réunions de sensibilisation au patrimoine. Avec les élus : nous avons fait une visite de Joigny commentée par l’ABF avec les élus et les administratifs de la mairie. Les commentaires faits sur chaque maison sont très utiles car ils ouvrent les yeux des responsables de la ville qui comprennent ainsi mieux le bâti ancien. Ils sont du même coup capables de voir les erreurs qui ont été faites dans la restauration des bâtiments anciens, car cela arrive parfois ! Et cela les arme pour surveiller les travaux dans l’avenir.

J’ai fait aussi des réunions avec les notaires et les artisans qui ont un rôle stratégique pour la conservation des bâtiments anciens du fait de leurs relations avec les acheteurs et les propriétaires de ces bâtiments. C’est pour cette raison qu’il est important de les former : s’ils apprécient et comprennent le patrimoine de leur « pays », ils apprendront à le restaurer dans les règles de l’art. J’incite les artisans à conseiller leurs clients et à les guider vers le choix des bons matériaux, des bonnes techniques de restauration et d’isolation, des couleurs du pays. Par exemple : choisir des fenêtres en bois et éviter le PVC ou, si ce n’est pas possible, rejeter le blanc et préférer une couleur caractéristique du pays, le gris pour le vieux Joigny.

 

 J’ai aussi organisé un stand à la Foire de Pâques de Joigny sur le patrimoine. J’ai exposé des photos des façades restaurées, donné des conseils sur les teintes à employer pour les volets, les portes qui doivent être d’une couleur différente des façades.

 

 Et je vais beaucoup sur le terrain, je visite les chantiers, j’y rencontre les artisans pour voir si les prescriptions du PLU sont appliquées, pour demander des échantillons, pour peser sur les prix …

 

 Dans tout ceci, il y a une grande part de « bouche à oreille » et la sensibilisation des divers acteurs publics et privés, institutionnels, particuliers et entreprises progresse à petits pas.

 

 

3 – Précisément comment sortir de cette démarche pointilliste et confidentielle, comment élargir l’audience des publics et faire de la préservation du patrimoine modeste une branche à part entière de la politique municipale ?

 

Je suis bien consciente de la nécessité de renforcer les mesures en faveur du soutien du patrimoine et d’élargir leur audience. Pour cela, je pense qu’il faut commencer par faire un effort de publication. D’abord par une meilleure diffusion des publications existantes qui fixent les orientations de la mairie et la font connaître à un large public. La plaquette sur « Les couleurs de Joigny » (voir les références dans la bibliographie) n’est pas assez connue. Elle devrait être systématiquement distribuée aux propriétaires, anciens et nouveaux, aux artisans, aux agents immobiliers, aux notaires, aux architectes, dans toutes les boites aux lettres …

 

 Ensuite par la rédaction de nouvelles plaquettes, tout particulièrement en direction des artisans qui sont stratégiques de par leur rôle auprès des propriétaires et dans la restauration. Dans ce but, j’ai lancé la préparation d’une brochure qui leur sera destinée. Une autre plaquette fera mieux connaître le fonds façade en la distribuant à toutes les entreprises et au public.

 

 Les documents d’urbanisme sont le terrain décisif où agir. A cet égard, les PLU sont de meilleurs outils que les POS car ils peuvent fixer des prescriptions techniques (matériaux) et esthétiques (couleurs) que tous les élus et habitants d’une commune devront respecter et … faire respecter. Car à quoi sert une prescription si elle n’est pas respectée ou pas connue ? Par exemple combien d’artisans, de propriétaires et d’élus savent que le nouveau DTU 26.1 indique que seule la chaux doit être utilisée pour enduire les maçonneries anciennes car elle seule préserve l’intégrité de ces supports poreux ? Encore trop peu pour que cette prescription devienne la règle pour les restaurer. Je m’occupe beaucoup en mairie de cette question.

 

 

4 – Et dans votre mairie, parvenez-vous plus facilement à préserver le patrimoine bâti ?

 

Dans mon village, c’est à la fois plus difficile et plus facile. Plus difficile pour des questions de moyens financiers moindres. Sur ce point, le contact avec la Fondation du Patrimoine est précieux. Je la sollicite en ce moment pour restaurer l’église Saint Vincent de Paul et la pompe de la fontaine.

 

 Mais aussi plus facile car la mobilisation des habitants peut donner des résultats formidables. Nous avons ainsi réussi à refaire l’abreuvoir avec le concours bénévole des habitants qui ont fait l’équivalent de 800 heures et en profitant des pavés de l’ancienne gare d’Auxerre qui n’étaient pas réemployés sur place.

 

 Plus facile aussi de sensibiliser les habitants, notamment par l’organisation de conférences. M. Jean-Luc Dauphin a raconté l’histoire du château du Fey et du château des Gondi. Le maître charpentier Jean Robin nous a expliqué les charpentes. M. Portal, propriétaire de la belle maison en face du château des Gondi à Joigny, nous a présenté le secteur sauvegardé de Joigny.

 

 

5 – Quelle est la raison profonde qui vous motive dans toutes ces actions pour la sauvegarde du patrimoine ?

 

Mon premier souci est d’aider les autres, en apportant des conseils aux gens qui ne savent pas comment s’y prendre pour restaurer une vieille maison. Tout le monde ne peut aller aux renseignements. Le besoin de conseil est criant et sur ce point la création d’un CAUE de l’Yonne est très bienvenue. La plupart du temps, les gens n’ont pas les moyens de payer un architecte pour parer à leur ignorance face à un bâtiment ancien. Comme il n’y a pas toujours d’aide, alors les conseils sont gratuits. Aider les gens à comprendre, à aimer et à conserver ce bâti est mon premier souci. C’est le moyen le plus immédiat pour faire avancer la cause du patrimoine. J’habite une vieille maison et je sais ce dont on a besoin pour restaurer ce type de bâtiment.

 

 Mais je suis animée aussi par le goût, l’amour même du patrimoine modeste. A mon avis, il doit être sauvegardé comme le patrimoine classé. Lui aussi mérite le regard des autres. J’adore mon village, j’aime aussi beaucoup Joigny et l’abandon d’un bâtiment traditionnel me désespère. On a du patrimoine, même s’il est modeste, il a le droit de vivre.

 

 

6 – Comment concevez-vous la restauration d’un bâtiment ancien ?

 

 Pour moi, restaurer une vieille maison c’est lui redonner une vie. C’est refuser d’oublier ceux qui ont habité, travaillé, vécu dans ces bâtiments anciens et se situer dans leur suite, dans leur lignée. Leur être fidèle ne signifie pas transformer les maisons qu’ils nous ont laissées en musées mais savoir les adapter à de nouvelles fonctions, aux modes de vie actuels, sans défigurer leur aspect, ni altérer leur hygiène, ni perturber leur insertion dans le paysage et la nature. C’est ainsi que l’on préservera le style bourguignon qui fait la personnalité et la beauté de nos villages et de nos paysages.

 

 A bien y réfléchir, cette optique conduit d’ailleurs à prendre quelque distance avec nos mauvaises habitudes, à se demander si on a besoin de consommer autant d’eau, d’électricité et d’objets inutiles, si on ne pourrait pas être plus autonome et économe en cultivant son jardin par exemple ou en se chauffant au bois, comme le font d’ailleurs déjà beaucoup de ruraux, qui sont souvent plus écolos qu’ils ne le savent !

 

 En outre, le patrimoine modeste est précieux parce qu’il est une source d’emplois pour les artisans locaux qui sont appelés à le restaurer et le mettre aux normes de la vie moderne. Une bonne restauration implique d’utiliser les matériaux anciens qui sont cohérents avec le bâti d’antan. C’est comme cela que sa beauté et son charme seront sauvegardés.

 

 On entend dire que ces matériaux sont plus chers. Mais la différence de coût n’est pas aussi grande que l’on veut le laisser croire. Certes la chaux est un peu plus chère que le ciment. Mais elle a le grand avantage de préserver l’hygiène des vieux bâtiments en les laissant « respirer ». Dans ces conditions on évite l’humidité et on réalise d’appréciables économies d’énergie. Les maçonneries anciennes, de moellons, briques, silex, terre ou autres, sont épaisses. Elles ont de ce fait une forte inertie thermique qui garantit la fraicheur l’été et conserve la chaleur l’hiver. Ce type de fonctionnement explique les performances énergétiques relativement bonnes du bâti ancien par rapport au bâti « HQE » d’aujourd’hui. Ces performances peuvent être améliorées, à la condition précisément utiliser des matériaux compatibles et non des matériaux modernes qui ne leur conviennent pas. Voilà un des messages que je veux faire passer.