Entretien avec Sylvie BORNET, herboriste

Il y a 10 ans, MPF par le biais de V. Le Lann s’intéressait au « nid dans la grange » que Sylvie Bornet faisait construire à Toucy, au lieu dit « les Vergers » (Revue de MPF n° 152, été 2004). L’utilisation d’un béton fait de chaux aérienne, copeaux de bois et « sable à lapin » était alors le fait de quelques pionniers prêts à supporter les risques et les aléas que ce nouveau matériau pouvait comporter. Dix ans après, il nous a paru instructif d’aller voir comment vieillissait ce nouveau matériau et aussi comment Sylvie s’était implantée dans son nouvel établissement. Elle nous a reçues le 16 juin 2014, chez elle.

Formation :

Dans une vie antérieure, Sylive Bornet était professeur d’éducation physique et sportive à Paris. Ses dons et ses gouts la conduisent à la compétition où ses performances débouchent sur un contrat de sport de haut niveau avec la ville de Paris qu’elle représente dans la discipline du marathon. Elle réalise la 11° meilleure performance mondiale et obtient 2 fois le record de France. Mais ne voulant plus vivre à Paris, affrontant des difficultés familiales, elle change d’orientation. Après un diplôme et un essai comme bibliothécaire, elle trouve sa voie dans l’herboristerie. Après trois ans de formation à l’Ecole Lyonnaise des Plantes Médicinales (1999-2002), elle découvre le domaine des Vergers à Toucy, mis en vente par la SAFER, où elle s’installe comme productrice-cueilleuse de plantes médicinales en 2002. Depuis, sur cette exploitation de 6 ha dont 5 de bois, elle a fait son nid.

 Disparition d’une ferme en partie du XVII° siècle :

Quasiment au sens propre puisqu’elle habite au sommet de la grange en bois (ancien pailler élevé au XVII°) de 9 mètres de haut sur une surface au sol de 108 m2 qui est la seule partie couverte qu’elle a trouvée en arrivant. La belle ferme des Vergers (voir R. Bucaille et L. Lévi-Strauss, L’architecture rurale française – Bourgogne, Ed. A Die, 1980, p. 168-173) n’a pas résisté à la querelle d’héritage qui, au XX° siècle, l’a laissée à l’abandon pendant plusieurs dizaines d’années : comme la maison de Cadet Roussel, elle n’avait plus « ni poutres ni chevrons » et ne pouvait plus loger que « les hirondelles ».

Aujourd’hui, peu de choses subsiste de ces bâtiments, déjà notés en « état médiocre » en 1974 par Bucaille et Straus : une petite annexe (l’ancienne porcherie) à l’entrée et une partie du bâtiment d’exploitation dont les toitures refaites (et végétalisées) permettent d’abriter des hôtes de passage et de ranger les outils. Sous le lierre, quelques pans de murs et un four à pain retournent lentement à la terre d’où ils sont sortis. Sylvie s’est peu émue de cette dégradation qu’elle a accompagnée en utilisant les pierres des murs plus ou moins écroulés pour empierrer les chemins qui parcourent son petit domaine.

D’abord parce que ses moyens financiers ne lui permettaient pas d’envisager une reconstruction, si coûteuse que la précédente propriétaire y avait déjà renoncé. Mais aussi parce qu’elle est plus attirée par le végétal que par le minéral, « trop dur, trop froid, trop sophistiqué ». Pour elle, le végétal a la simplicité des choses sauvages et lui offre un habitat simple et naturel, « sans être barricadé par des normes dont la multiplication dévoile en fait une peur de la nature ». Les toilettes sèches, la phytoépuration faite maison illustrent la réalité de cette symbiose avec la nature dans toutes ses dimensions.

En outre, Sylvie voulait habiter « en l’air », pour se protéger de l’humidité bien sûr mais aussi pour « se libérer de la proximité du sol et de ses plantes, outils de travail auxquels elle se coltine tout le long du jour ». Le soir elle « monte » au « cabaret des oiseaux » et se délasse nichée dans la canopée.

Construction d’un nid :

En 12 ans d’occupation, Sylvie a aménagé son nid dans la grange en bois. Sous le toit, son espace: cuisine, salle, chambre et coin toilette ; au rez-de-chaussée : une chambre pour sa fille, une douche, des toilettes sèches, un séchoir et un atelier pour préparer et stocker ses simples, une véranda qui peut se transformer en salle de spectacle. Pour les cloisons des parties habitables, elle a renoncé au béton de chaux / bois déchiqueté utilisé au départ à l’étage supérieur. Il s’est révélé peu efficace du fait des ponts thermiques causés par la rétractation lors du séchage. Par la suite, les premières cloisons montées ont été doublées de laine de chanvre, les autres constituées de béton de chaux / chanvre toujours sur colombage bois. Si un charpentier est intervenu pour les structures, le reste a été fait pour l’essentiel en auto-construction par elle et ses amis, notamment la véranda dont la charpente, le toit et le pignon ont été savamment assemblés avec des matériaux et fenêtres de récupération (voir la photo).

 Jardin botanique et cueillette :

Sylvie utilise 50 plantes pour ses tisanes et « transformations » (baumes, sauces, tisanes, sel aromatisé…), dont 25 en culture et 20 à 30 en cueillette, le nombre des plantes sauvages variant en fonction des conditions climatiques qui l’obligent parfois à se fournir sur le marché, comme lors du printemps pluvieux de 2013.

Pour les plantes jardinées, elle se procure les semences à Milly la Forêt au CNPMAI (Conservation national des plantes médicinales, aromatiques et industrielles) et fait les semis dans une petite serre élevée sur le domaine. Son jardin, dans le désordre apparent des jardins botaniques, laisse une large place à la nature qui combine mystérieusement hasard et nécessité pour influer sur l’endormissement ou la germination des graines et ménage toujours des surprises.

La cueillette se déploie sur des sites qui changent selon les saisons, le plus souvent proches de chez elle mais qui peuvent s’étendre jusqu’aux confins du Morvan (pour l’ail des ours par exemple). Sylvie prospecte sur les terrains non cultivés, prairies, bois, hauteurs. La cueillette commence fin mars avec l’apparition des tussilages (ou pas d’âne) puis des primevères et dure jusqu’à fin septembre / début octobre. En automne, vient le tour des racines.

Le domaine comporte aussi des ruches dont s’occupe actuellement Fabien, un ami, ancien décorateur intermittent du spectacle, en contrepartie d’un logement dans la petite annexe et de légumes du potager. Il y a aussi quelques poulettes protégées par un grillage, agencé de façon à empêcher le passage des prédateurs.

Sylvie vend ses produits sur les marchés : chaque samedi à Toucy, le dimanche sur les divers marchés et foires bio qui s’échelonnent entre avril et octobre (Saints en Puisaye, Vézelay, Saint Père…).

Elle reçoit (8 personnes maximum) pour des week-end d’initiation aux plantes médicinales où elle apprend à reconnaître les plantes sauvages, à les transformer en tisanes et aliments et à mieux se connaître pour mieux comprendre son corps. Le repas de midi participe de l’initiation en offrant aux stagiaires une nourriture bio et végétarienne. Cette année, elle a organisé 2 week-ends en juillet et 2 en aout. En outre, elle fait visiter son jardin et le petit bois qui le jouxte le samedi ou en semaine, toujours sur rendez-vous.

La simplicité heureuse

Aujourd’hui, la notion de patrimoine s’est élargie à tous les éléments qui nous sont transmis par nos ancêtres, aussi bien naturels que fabriqués (Françoise Choay, Le patrimoine en questions, Ed. Du Seuil, Paris, 2009). Cette conception nouvelle permet d’inclure l’herboristerie, savoir hérité de temps immémoriaux (la Bible mentionne déjà les simples) et que Sylvie contribue à maintenir vivant. Elle perpétue et transmet une connaissance des plantes médicinales vivantes qu’elle préfère aux « vieilles pierres », du patrimoine végétal qui lui parle plus que le patrimoine minéral. Dans le nid perché qu’elle s’est construit, la simplicité heureuse de sa vie est exemplaire par l’empreinte faible et raisonnée qu’elle a sur l’environnement. Allez donc pendant l’été visiter son « cabaret des oiseaux » : vous y serez enchantés et vous enchanterez en revenant vos maisons paysannes.

http://www.lecabaretdesoiseaux.com/